Témoignage de la maman d’Aelig le tout-petit photographié par Emmanuelle
Le 28 septembre 2017, rendez-vous pour la première échographie (12SA). Avec le papa, nous avons hâte de voir sa petite bouille sur l’écran pour réaliser que la famille est en train de s’agrandir !
La sanction tombe lorsque que la gynécologue nous annonce qu’il y a un problème. 1 mois et demi d’examens et surtout d’attente interminable s’écoulent… Le 14 novembre, il n’y a désormais plus de doute possible : notre fils souffre de 2 graves malformations cardiaques irréparables.
Cela implique 3 voire 4 opérations lourdes d’ici ses 3 ans, et qui sont sans garantie de réussite, une vie hyper médicalisée, jalonnée de prises de sang toutes les 3 semaines, de médicaments journaliers, une espérance de vie plus courte, une qualité de vie dégradée, une fragilité du point de vue de sa santé globale, des activités qui lui seraient refusées par prudence, et toutes les difficultés que nous n’avons pas encore mesurées…
La décision est prise, nous lui préférons une interruption médicale de grossesse dont il ne souffrira pas.
On s’estime chanceux à bien des égards dans notre malheur, car bon nombre de nos proches traversent des épreuves qui nous semblent plus lourdes encore à porter chaque jour… Mais cela n’enlève pas le chagrin de ce drame contre-nature qu’est la perte d’un enfant !
J’avais besoin de savoir que nous aurions des photos souvenir pour pouvoir affronter l’épreuve. Alors que je me faisais une raison suite aux refus de photographes professionnels déstabilisés par ma demande, l’appel de l’association qui me confirmait son intervention au lendemain de l’accouchement a été comme un déclic ! C’est précisément le jour de cet appel que je me suis enfin sentie prête à affronter l’interruption médicale de grossesse, … la naissance sans vie de mon deuxième petit garçon.
Le 7 décembre 2017, tout en douceur, Aelig naît sans vie.
Et savoir que nous aurions ces souvenirs m’a aussi permis de profiter pleinement de chaque instant avec mon bébé, sans avoir à me préoccuper de prendre telle ou telle photo parce qu’après il serait trop tard. Avant même son intervention, la bénévole de Souvenange m’a offert le jour venu une sérénité que je n’aurais pu espérer. Cela n’a pas de prix.
Dans les jours qui ont suivi l’accouchement, ça m’a fait un bien fou de savoir qu’Aelig était comme « sorti de l’anonymat » grâce à l’association. La majorité de notre entourage ne nous parlait pas de notre fils, par peur de nous blesser certainement… mais le plus blessant était ce sentiment qu’il n’avait pas existé, ou que son passage dans nos vies dérangeait, et que nous, ses parents, devions nous excuser de vouloir lui donner la place que nous considérons la sienne. La bénévole de Souvenange a été l’unique personne à rencontrer en chair et en os notre loulou et cela m’est essentiel de savoir que quelqu’un d’autre, quelqu’un qui avait le choix et toute légitimité à « fuir », a accepté de le rencontrer. Sans l’intervention de l’association, seule l’équipe médicale, le papa et moi aurions vu notre fils, et j’en suis certaine aujourd’hui, j’en aurais profondément souffert.
Maman d’un petit ange, ces souvenirs de qualité sont pour moi d’une richesse inestimable. De même que mon fils aîné a son « livre de vie » que je complète au fur et à mesure de ses expériences, et dans lequel un chapitre est consacré à son petit frère, mon fils cadet aura désormais son album photos. Ainsi, nous pouvons raconter son histoire, et nous y replonger quand on en ressent le besoin. Et quel bien précieux que d’avoir la possibilité de présenter son petit frère à notre fils aîné lorsqu’il en fera la demande.
Le poids tabou de notre société sur les enfants nés sans vie aurait presque pu, avec le temps, me convaincre qu’ « en effet, mon fils n’a pas réellement existé puisqu’il est né à 22 SA, sans vie… » Pourtant, bien avant sa naissance déjà, il faisait pleinement partie de notre famille. Aujourd’hui j’ai envie de crier au monde entier que « si, mon fils a bel et bien existé ! il était un magnifique petit garçon, énergique et plein de vie lorsque je le portais dans ma chair » et ces photos en sont la preuve. J’ai déjà perdu la chance de le voir grandir, personne ne me retirera la fierté d’être sa maman.
Les photos permettent d’inscrire cet instant, de marquer son passage, de souligner ses traits de visages et tous ces petits détails dans le temps, de façon indélébile. C’est pourquoi elles sont essentielles pour aider à aller de l’avant.
Aujourd’hui qu’Aelig nous a quitté, je réalise que sans ces photos, mon souvenir de ses traits si fins seraient déjà bien flous dans mon esprit. Pas étonnant puisqu’en cumulant chaque instant, je n’ai passé qu’une heure, peut-être deux, à le tenir dans mes bras, et cela alors que j’étais fatiguée de mon accouchement et dévastée par l’émotion du drame que je traversais.
Lorsque le chagrin m’envahit, je m’offre un instant d’intimité avec mon fils, je parcours ces photos qui le présentent sous son plus beau jour, si paisible, ces photos saisies par la bénévole avec tellement de sincérité et de bienveillance. Je les regarde aussi longtemps que nécessaire… Une pause entre lui et moi, hors du temps. Ce moment panse ma plaie pour un temps et me permet de rebondir, de repartir sur une autre activité, d’évader mon esprit. Ainsi, je n’ai pas l’impression de l’abandonner en poursuivant ma vie puisque je lui témoigne régulièrement de tout mon amour et, à travers les photos, je lui dis ce que j’aurais pu oublier de lui dire lorsque je le serrais dans mes bras. D’une certaine façon, je me reconnecte à lui.
A réception des photos (joli cadeau de Noël reçu le 23 décembre), j’en ai pleuré d’émotions…
Merci encore à E.B. pour ses magnifiques clichés,
et à Hélène, pour tout ce qu’elle a fait pour nous,
et à toute l’équipe de Souvenange pour ce qu’elle continue de faire chaque jour pour toutes les familles que nous sommes, vous et nous.