Témoignage de Rhéa après son accompagnement en maternité

Petit bonhomme,

Il y a une goutte d’eau sur ton doigt. Tes mains étaient près de ton visage, c’est une larme peut être.

Tandis que je retouche les photos de toi, et que parfois je me sens triste, cette goutte sur ta peau m’a fait l’effet d’un océan de vie.

Merci p’tit gars.

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Cher petit bonhomme,

Je viens de finir tes photos, je me prépare à les envoyer à ta maman et ton papa.

Tu sais, lorsque je t’ai rencontré, il y avait de l’amour partout autour de toi. Du silence aussi, le même silence que le tien. Un silence qu’on n’arrive pas à rompre sans s’en vouloir. Même les sanglots de ta maman essayaient d’être discrets. Dans ton sommeil si long, le monde disait chut.

Le départ a été le plus dur. J’aurais aimé rester près de toi plus longtemps.

Spontanément, selon l’expression consacrée, j’allais ajouter : alors je n’ose imaginer combien cela a été dur pour tes parents de te laisser partir.

Mais si, j’imagine, j’ose dire que je sais.

Ma sortie de votre chambre d’hôpital m’a fait revivre le moment de l’adieu au corps de Sacha. Mais cette fois, je ne ressentais plus ce désarroi immense face au corps sans vie, ce mélange d’amour et de répulsion qu’il m’a fallu des années à pardonner. Je ne ressentais que le chagrin de te laisser, j’avais envie de te parler encore. De te bercer encore un peu. De te dire encore combien tu es aimé, et que la nuit n’est pas à craindre, que tu as une maison dans les cœurs où chaque jour, on allume un soleil éclatant, où tu ressens le bonheur de l’air sur ton visage, où tu entends le chant des oiseaux.

J’avais envie de te dire de n’avoir pas peur d’être seul. J’avais envie de dire à tes parents, de n’avoir pas peur de toi.

Toi, tu n’as rien à craindre de ce monde. Tout ce qui vaille ici la peine d’exister, c’est l’amour. Tu as cet amour, infini, parfait, immuable. Le monde, ses tourments, les cauchemars, les méchancetés des petits et des grands, tu ne les crains pas. Tu es au-dessus de cela, au-dessus de nous tous. Comme Sacha, tu es à jamais un enfant parfait.

Ton papa, ta maman, ils sont restés dans ce monde étrange, où l’on peut aimer par-dessus tout sans jamais pouvoir faire un câlin, où l’on doit négocier la réalité de sa parentalité, où l’on doit s’excuser de souffrir de la pire des douleurs, où l’on doit survivre à son enfant.

Un bébé naît en se préparant à soulever des montagnes ; durant 9 mois, il s’est armé d’amour, il est rempli de force, ses facultés sont titanesques, et en quelques mois il apprendra plus qu’en toute une vie.

Tu as toute cette force en toi, et tout cet amour. Dans cette pure bonté qui te constitue, envoie un peu de ton courage à tous ceux qui restent pour essayer de faire le monde un peu moins bizarre.

Je suis fière, petit bonhomme, d’avoir croisé ton chemin ; je n’en vois pas le bout, il part bien plus loin que nos pauvres yeux sont capables de voir le monde. Un jour, si je suis très sage, on se recroisera.

D’ici là, je te porte dans mon cœur.